• Eve

    Lors d’une soirée lecture et dégustation à la Maison Robert Schuman, je l’ai entendue évoquer les vins qu’elle produit et les particularités de son domaine Les Béliers avec des mots qui résonnaient fortement avec ma propre expérience.
    D’abord son départ, jeune fille, d’une région dont le climat parfois rigoureux et une certaine absence de lumière l’hiver l’ont poussée vers d’autres contrées. Aller voir ailleurs. Apprendre d’autres métiers dont celui qui l’occupe aujourd’hui, la viticulture.
    Puis l’envie de revenir dans l’Est et prendre en main l’exploitation familiale qui jusqu’alors était une activité annexe, le travail c’était d’abord l’usine. Coteaux de Moselle, label bio, cépages de première époque qui se plaisent sur les sols calcaires du Jurassique, vendanges à la main … Eve est enjouée quand elle parle de sa production, travail soigné et volonté de faire exister aussi le territoire en proposant un accueil en chambres d’hôtes et cabanes dans les arbres.
    Elle ne cache pas non plus l’engagement nécessaire et parfois la fatigue car il faut tenir la cadence avec chaque année son lot de difficultés : trop d’eau, pas assez d’eau, trop de soleil, pas assez de soleil et, en tout cas, la constance du travail à fournir.
    J’ai passé une nuit dans l’une des chambres d’hôte dont la baie vitrée occupait tout un pan de mur, s’ouvrant sur le domaine et les bois avoisinants. C’était l’automne. Soleil et feuillages flamboyants, fraicheur de l’air puis le retour des brumes.
    Pinot noir, Auxerrois et rosé pétillant. Mes cadeaux de Noël auront un air de Moselle.

  • Shirley

    Je lui propose de la photographier devant sa collection de vieilles passoires, elle me dit : Je te vois venir, tu voudrais que j’en mette une sur la tête ! Elle accepte de poser mais n’aime pas ça. Je la connais depuis longtemps celle que l’on surnomme la Shirl parce que c’était pas courant un nom étranger dans les années 70. Je l’ai connue tenant une baraque à sandwichs et frites vers la piscine et son désespoir à cause de l’odeur d’huile chaude que même les douches ne parvenaient pas à effacer – je l’ai connue serveuse dans le café de sa mère, je l’ai connue s’éloignant de sa ville pour une vie plus tumultueuse en Belgique. Je l’ai vue gifler de toutes ses forces un type qui lui avait mis une main au cul. Depuis quelques années, elle travaille au service espace vert de la commune et se forge une solide réputation à poser des décorations faites d’objets récupérés, à bricoler des boites à livres de toutes les couleurs, à teindre des chaussures en rose, à s’investir auprès des enfants. Depuis peu elle met en valeur les objets qu’elle trouve dans les buissons des parcs quand vient la saison des tailles. Et c’est fou oui ce qu’elle y trouve. Tout n’a pas été facile pour elle, loin de là, mais elle n’aimerait pas que j’étale ici sa vie. On peut compter sur elle mais faut pas l’emmerder, la Shirl ! Je la connais bien car c’est ma nièce. On reste parfois plusieurs années sans se voir, mais il suffit de quelques heures ensemble pour qu’on se marre comme des nouilles. On retrouve la complicité de l’époque où, adolescente, je passais du temps avec elle et sa sœur, les dimanches d’ennui et on partait ensemble dans les bois ramasser des feuilles, de la mousse, des fleurs pour composer ensuite des trucs et des machins qu’on trouvait beau. Oui on partage cela le goût des autres, des trucs et des machins.

  • Marion

    Je rentre dans le jardin où elle œuvre sécateur à la main. Son sourire franc est un généreux accueil. Le bonnet de laine la quitte rarement, du moins quand je la croise. A ses pieds une paire de bottes en caoutchouc qu’elle a découpées à ras de la cheville pour faciliter le déchaussage. Des bottes achetées pas chers à Emmaüs car elle a l’art de la débrouille. Son sourire est le paravent pudique d’une vie où elle a dû se battre, s’adapter sans perdre sa liberté d’agir. Sa liberté d’être. De multiples boulots jalonnent sa vie, de l’étal des marchés aux jardins des particuliers. Depuis peu un nouveau job qui rend son sourire encore plus lumineux. Elle est employée par une toute récente entreprise locale de collectage de déchets pour un compostage collectif. Travailler avec des gens qu’elle apprécie, est une nécessité pour elle. Un nouveau défi après celui de monter à plusieurs un lieu d’habitats légers sur la commune de Trignac. Le soutien de la municipalité lui permettra bientôt d’habiter de manière plus solidaire, écologique et créative et je sais que mon fourgon sera le bienvenu.
    Nous aimons bavarder ensemble, elle a connu aussi la vie nomade : la liberté et le difficile de la vie en fourgon.
    Mais il est l’heure pour chacune de retourner à notre travail et la conversation se finit sur ses mots à elle dont j’aime à me souvenir : Mon petit garçon aime beaucoup les fleurs, c’est rassurant.

  • Mady

    C’est une voix qui m’interpelle de l’autre côté de la route alors que je regarde une très belle bâtisse à l’abandon : Elle n’est pas à vendre. Malheureusement ! Nous échangeons quelques phrases et je traverse la route qui est trop bruyante pour s’entendre correctement. Elle a quatre-vingt ans et c’est de la mort de son mari qu’elle me parle en premier, il y a quarante ans. Le mari camionneur. Puis très vite, elle m’invite à venir voir ses broderies au point de Sarrasin dit aussi point d’Aubusson. Je rentre dans sa maison parfaitement rangée et chargée de souvenirs et d’objets. On voudrait tout regarder de près. Des photos du fils et des petit-enfants sur un meuble du salon.
    Installée dans son fauteuil, elle commente chaque broderie essentiellement des marques pages (vendus à la Cité International de la tapisserie) et des carrés de tissus. Parfois elle s’essaie au patchwork. Le point de Sarrasin est exigeant car minutieux et lent. Seulement une dizaine de personnes le maîtriseraient correctement – une association veille d’ailleurs à sa transmission. Mady a toujours vécu à Aubusson, elle a tenu un magasin de dessous féminins : Frou-Frou.
    Je prends ses broderies en photo mais elle ne veut pas être sur l’image : J’ai toujours l’air triste. Triste, elle ne l’est pas et parle avec une voix alerte, un brin malicieuse. Malgré les difficultés à marcher, elle m’emmène dans son garage où attendent des trésors en bocaux : confitures à la myrtille, à l’abricot, à la prune et je repars avec un pot de confiture à la groseille qui sera exactement comme j’aime, pas trop sucré, fruité et légèrement acidulé.
    Un jour Mady me téléphonera pour me remercier d’avoir parlé d’elle dans ma chronique. Elle va bien et me promet un pot de confiture à la myrtille si je repasse à Aubusson. Son coup de fille donne du sens à cette série de portraits et pas de doute, qu’un jour, je viendrais chercher mon pot de confiture.

  • Régis

    Je le pensais taiseux, mais non il aime se raconter. Il se dit nomade, voyageur même s’il est installé depuis quelques années dans le Var. Il a quitté, jeune, l’Alsace natale pour partir sur la route, à pied et en stop. L’Italie, l’Espagne et le travail saisonnier pour subvenir à ses besoins. Ici dans le Sud il s’occupe de l’entretien de l’un de ces lieux que je nomme l’arrière-cour de nos vies. On y entasse des vieux véhicules dont des corbillards en bois, des roulottes, des caravanes, des objets en fer, en plâtre, en plastique et surtout des pneus et des pneus qui seront revendus à des particuliers.
    On y met aussi à l’abri des animaux dont un chameau recueilli blessé aux genoux – il ne parvenait même plus à se redresser. Ici, il a été soigné et chouchouté. Régis est ravi de nous montrer l’animal droit sur ses pattes et se roulant voluptueusement dans la terre sèche du terrain. Chacha est content de le voir.
    Il fait chaud sur ce lieu de récupération et respirer l’odeur âpre du caoutchouc n’a rien d’agréable. Régis attend l’automne avec impatience car chaque année il accompagne la transhumance des moutons dans le Haut-Var. Trois semaines à marcher au rythme des bêtes, à partager en soirée le repas des bergers et, depuis peu, des bergères. Vivre dehors.
    Pour l’heure, c’est l’été, les touristes vont arriver, il faut stocker, compter, trier les pneus, heureusement, certains soirs il y a fête au village. Régis se douche, se change et va danser. Il aime ça danser, surtout le rock et il se débrouille plutôt bien.

  • Stéphanie

    A Queuille, petite commune du Puy-de-Dôme il y a superbe panorama sur le méandre de la Sioule et … Stéphanie qui tient l’improbable boucherie, charcuterie, épicerie Garachon. Dès l’extérieur les enseignes intriguent par leurs couleurs et leur amoncellement, dedans on peut visiter un petit musée avec des outils, des photos, des cartes postales.
    Disons-le, c’est un peu foutraque et Stéphanie qui vous accueille ne s’en défend pas : Je suis du genre décalée. Et à moi qui n’est ni chèque, ni liquide pour payer – je comptais sur ma carte bleue mais la maison n’est pas équipée – elle propose de lui envoyer un chèque par la poste. Cette confiance me touche.
    Alors je repars avec des yaourts, des pommes, du jambon et des merguez (elle me fait un prix, parce que c’est comme ça). Elle sourit souvent, se moque d’elle-même : J’agace certains clients à pas faire les choses comme il faut. Pas moi, il se dégage d’elle du généreux, du singulier et les produits sont de qualité. Je n’ose pas lui poser trop de questions, elle semble avoir pas mal de boulot. Mais quand elle me demande si je suis sur facebook en ajoutant : J’aime bien voyager à travers la vie des autres. Je me doute que ce n’est peut-être pas de la boucherie familiale dont elle rêvait plus jeune. Je la quitte avec regret, en me promettant d’y retourner pour elle et pour la région qui est vraiment belle.
    Alors que j’ouvre la porte, elle rajoute : et si pendant votre balade vous trouvez des heures perdues, vous pouvez me les ramener, j’en manque sérieusement. .

  • Guillemette

    A son arrivée à l’atelier d’écriture, j’ai pensé en tout premier lieu : quelle énergie ! Le pas vif, le sourire grand et un tabouret calé sous le bras. Une table adaptée à sa petite taille a suivi, portée par un participant. Forcément, il faut avoir le sens de la débrouille quand on habite dans un monde de géants. Elle a appris aussi à devancer les étonnements, les questions voire la gêne liée à son mètre seize.
    Après avoir travaillé avec des jeunes enfants dont on imagine le plaisir d’avoir enfin un adulte à leur hauteur, elle s’est fait conteuse avec un compère qui frôle le mètre quatre vingt-dix. Sa diction parfaite est un atout et révèle aussi les origines. Elle a grandi dans une famille catholique de huit enfants où l’on se vouvoie entre frères et sœurs. Le père était amiral.
    Chez elle, dans la campagne du Haut Anjou, nous avons partagé café et anecdotes, conscientes de nos différences d’origines et d’appartenances politiques. La lecture à voix haute comme territoire commun.
    Dans sa maison tout a été pensé et construit à sa taille pour autant une chambre et une salle de bain ont été prévues pour ses grands ami.es.
    Dans un livre La Douce ardente, à travers le personnage de Lucie, elle évoque ce qui parfois ne peut se dire de manière trop directe. D’ailleurs elle ne s’attarde jamais longtemps du côté de l’intime car Guillemette de Pimodan est, avant tout, une femme qui agit.

  • Josse

    De son vrai prénom, Joseph. Son van garé à côté du mien alors on finit par discuter ensemble. Il se dit un cul salé. Un Breton, quoi. On parle fourgon, aménagements, système de chauffage, obturation des vitres … on parle de nos maisons, quoi.
    Six années qu’il vit ainsi, heureux même si parfois des soucis : un retrait de permis de six mois, la pension qui ne suffit pas toujours. Je me débrouille. Il a fait la manche au gazole. Tendre son jerrycan à ceux et celles qui se servent au station service et acceptent de partager. Mais l’augmentation du prix est telle, que les gens rechignent maintenant. Il se déplace en fonction de ce qu’il a dans le réservoir, avec une préférence pour l’Ardèche, les Pyrénées, le sud du pays. En lui des rêves d’Andalousie.
    Dans une autre vie, il a eu une compagne et exercé le métier de cuisinier. Puis le ras bol de la routine. Quelques conneries. Trop d’alcool aussi.
    Maintenant c’est fini. Une bière de temps à autre et il se tient à distance des fauteurs d’ennuis. De toute façon, je suis un solitaire. Un solitaire qui aime les gens.
    Il me montre les paillettes d’or qu’il a trouvées et rangées dans un petite boite transparente : J’ai eu envie de devenir chercheur en regardant un documentaire. Au début, j’étais nul alors j’ai suivi un stage. J’adore chercher.
    Il me complimente sur mon fourgon puis on se quitte, peut-être qu’on se retrouvera quelque part ailleurs. Peut-être.

  • Pierre

    Il vit à Saint-Marc commune de Saint-Nazaire. Depuis toujours. Sa maison n’est pas loin de la fameuse plage où se tourna le film Les Vacances de M. Hulot du non-moins fameux Jacques Tati. Il figure un des enfants que l’on aperçoit dans certaines séquences, il avait 11 ans. Mémorable été 1952.
    Instituteur dans la même ville sa devise aura été tout le long de sa carrière : Aux enfants, il faut apprendre à lire et à nager. Et ils auront été nombreux, garçons et filles, à savoir nager et lire grâce à lui.
    Dans sa maison on peut voir ses bricolages (c’est le terme qu’il a employé) où il tisse fils et objets trouvés sur les plages. Il aquarellise (c’est le mot qui me vient) les oiseaux, les crustacés et surtout les paysages de l’île d’Houat qu’il connaît comme personne. Chaque année il loue une maison ouverte aux ami.es et se souvient des années 70 quand il venait en famille camper de manière dites sauvage sur les rives de l’île avant qu’un camping ne cadre l’afflux des touristes. On peut emporter ses dessins et les textes qu’il commande auprès de son entourage dans des livres auto-édités avec soin. Il y a chez cet homme, devenu un ami, un appétit de vie contagieux même quand il fait son cabochard sans que jamais une lueur de malice ne quitte son regard.

  • Yolande

    Un verre partagé avec elle que j’ai découverte, il y a longtemps, dans un café théâtre de Bruxelles, un poireau à la main, du sang sur les bras : Sale affaire du sexe et du crime. Nous étions jeunes. J’étais épatée. Conquise.
    Puis Lapin chasseur, puis Les Deschiens et le film revu plusieurs fois : Quand la mer monte. Son premier long métrage
    Elle me fait du bien cette femme avec sa taille haute et son style à ne pas jouer dans la catégorie poids-plume. Je peux me reconnaître en elle.
    Ce soir-là, c’est à Segré, au bar du Cargo. Elle vient de donner son spectacle sur Prévert avec Christian Olivier des Têtes Raides. Je peux enfin lui donner le livre que je n’avais pas osé ou su lui envoyer, il y a quelques années. L’échange est simple même si la fatigue est là.
    Elle termine le tournage de son prochain film Même au milieu des ruines. La production n’est pas fan du titre, mais elle y tient. Notre conversation est entrecoupée par des demandes de selfies. Moi, je prends cette photo dont je ne suis pas satisfaite, mais voilà.
    Toujours un moment étrange d’être en conversation avec une personne qui vous est familière et de sentir que, forcément, pour elle vous êtes une inconnue.